VOYAGE DANS LE TEMPS
Les troubles psychiatriques traumatiques existent probablement depuis que l’humanité a pu élaborer une certaine représentation de la mort.
Des auteurs anciens en font déjà des descriptions cliniques . On peut mentionner notamment Hérodote, qui raconte l’histoire d’un combattant athénien de la bataille de Marathon, en 490 avant J.C., nommé Epizelos. Après l’affrontement entre Perses et Athéniens il demeura aveugle, tout le reste de sa vie. Lorsqu’il évoque son accident, il fait état d’une impression qu’il a eue : il aurait vu en face de lui un homme de grande taille, armé, et dont la barbe ombrageait tout le bouclier; ce spectre l’avait dépassé et avait tué son voisin de rang. Ce récit d’une forme hystérique de névrose traumatique souligne déjà l’évolution chronique des troubles apparus à la suite d’un danger extrême.
Lucrèce ( 100-55 avant J.0 ) relève l’élément central de la névrose traumatique, c’est-à-dire le syndrome de répétition. Il observe que les hommes dont l’esprit est occupé de grandes et violentes actions qu’ils ont accomplies, répètent et revivent leurs exploits dans leurs rêves. Il note particulièrement que beaucoup de ces hommes affrontent la mort, et croyant tomber à terre de tout le poids de leur corps du haut de montagnes, sont éperdus de terreur, et une fois tirés du sommeil, ont de la peine à retrouver leurs esprits.
Ce n’est que bien tardivement, qu’apparaissent les observations médicales. On peut citer Pinel (1809) qui s’intéressa au cas d’un militaire en retraite souffrant vraisemblablement d’une névrose traumatique à caractère hypochondriaque.
En fait, c’est le psychiatre allemand Oppenheim qui introduisit le terme de « Die Traumatische Neurose « ( la névrose traumatique) s’attardant sur les troubles neuropsychiques après des accidents civils, et plus précisément, en 1884, il en vint à s’interroger sur les états névrotiques consécutifs à la frayeur éprouvée lors des accidents de chemin de fer. En Angleterre, on s’était déjà penché sur les conséquences des accidents de chemin de fer et Erichsen ( 1864) considérait le « Railway spine » comme résultant des désordres neurobiologiques secondaires à l’ébranlement cérébral.
Puis Charcot, dans ses leçons du mardi en 1885, à la Salepétrière s’oppose à l’individualisation de la névrose traumatique. Selon lui les cauchemars de répétition, les
tendances dépressives appartiennent à des variétés particulières de l’hystérie ou de la neurasthénie. Il inclut en effet la frayeur comme l’origine émotionnelle de l’hystérie. Oppenheim, bien qu’ayant décrit les aspects hystériformes et neurasthéniques de la névrose traumatique, réserve aux symptômes spécifiques ( cauchemars, syndrome de répétition) une place relativement accessoire, étant entremêlés à des symptômes d’ordre neurologique. Mais, il finit par admettre, aux alentours de 1888, que certaines névroses traumatiques peuvent être rattachées à l’hystérie.
Quant à Janet, qui avait mis en évidence, sous hypnose, les traumatismes anciens dans l’hystérie, soutient en 1889 l’origine traumatique de certaines hystéries qui paraissaient auparavant idiopathiques.
De même Freud, en collaboration avec Breuer, dans ses premières études sur l’hystérie en 1895, défend l’origine traumatique de l’hystérie, non seulement dans « l’hystérie traumatique », mais également dans le reste de la pathologie hystérique où un événement anodin tient le rôle de traumatisme. L’étiopathogénie tient à la « réminiscence » de la charge d’affect non « abréagi « par l’action ou la parole, de certains évènements banals élevés au statut de traumatisme : la guérison peut survenir par « catharsis ».
En 1899, Kraeplin, dans son traité « Psychiatrie, Ein Lehrbuch für Studierende und Ârzte « autonomise sur le plan nosographique la « Schreckneurose », ou névrose d’effroi.
A la suite de différentes guerres, les théories se succéderont. Dans ce contexte, le syndrome de stress post-traumatique, ou la névrose traumatique donneront lieu au concept de « névrose de guerre «, mais ils ne peuvent se confondre, même si les troubles sont proches, le pronostic serait meilleur.
En 1910, R.Glynn, médecin à l’infirmerie royale de Liverpool distingue plusieurs formes cliniques de la névrose traumatique :
- la neurasthénie pure, comportant des éléments dépressifs, une irritabilité, une verbalisation pauvre, des troubles phobiques ;
l’hystéro-neurasthénie où aux autres symptômes neurasthéniques s’ajoutent les cauchemars, les terreurs nocturnes ;
l’hystérie pure ;
- la succession hystérie-neurasthénie.
Il insistera beaucoup sur la chronicité de leur évolution.
La première guerre mondiale a suscité d’importants travaux. En France, Régis et Chaslin (
1912) ont réussi à faire obtenir à la confusion mentale son statut de syndrome. En raison de l’importance accordée à la confusion mentale de guerre, considérée jusqu’alors comme la conséquence d’infections ou de traumatismes, une explication physique est recherchée à la névrose de guerre. C’est ainsi que « le vent du boulet « ou « l’obusité » sont sensés être responsables d’une commotion ne laissant pas de trace. Puis la théorie d’une atteinte cérébrale perd du terrain, au profit de celle du choc émotionnel.. Sur le plan thérapeutique, l’armée suggère l’isolement, la rééducation et les décharges faradiques pour le formes hystériques. Dans les pays germaniques, organicistes (Oppenheim) et psychogénistes ( Kretschmer) s’opposent, mais l’opinion générale considère en fin de compte, les troubles psychiques de guerre comme des cas d’hystérie. Les patients en proie à la peur du danger et à un désir de s’y soustraire, subissent plusieurs « traitements » : isolation en chambre noire, diète, faradisation. Même si ces traitements sont rapidement modifiants au niveau du tableau clinique, ils ne permettent que très rarement le retour dans les unités de combattants. Mais le courant psychanalytique commence à s’imposer. Freud, Ferenczi, Abraham proposent un traitement par « psychanalyse active ». On fit le projet de centres spécialisés et Freud fut désigné comme expert. Cela donna lieu à de multiples polémiques.
Parallèlement, dans les pays anglo-saxons, la perspective organiciste est abandonnée au profit d’une nosographie décrivant les états anxieux, l’hystérie de conversion et les désordres psychosomatiques. Au niveau thérapeutique, l’hypnose, les méthodes psychothérapeutiques sont préférentiellement utilisées, sur de sommaires bases psychanalytiques.
A partir de la deuxième guerre mondiale, on vit apparaître différents traitements. En France, Sutter et d’autres, pratiquèrent la narco-analyse.
En Angleterre on reste très à l’écoute des « Delayed Combat Reactions «, une psychanalyse rudimentaire est pratiquée, notamment dans la subnarcose barbiturique, où l’on recherche une « abréaction. ».
En Allemagne, pendant la guerre, les soldats manifestant des symptômes d’hystérie de guerre sont considérés comme des simulateurs et sont sévèrement réprimés. Ainsi les troubles sont souvent dissimulés ou méconnus; les psychiatres étudient plus volontiers les troubles psycho – somatiques dont la fréquence semble augmenter.
Aux U.S.A de remarquables mesures de prévention des troubles mentaux sont prises, à l’aide de psychologues et d’infirmiers ; une information psychiatrique est dispensée aux officiers et aux troupes. Mais cela n’est pas vraiment concluant.
Le rôle de la violence des combats, de la durée de l’exposition, est souligné dans la pathogénie
des troubles, mais les facteurs psycho — sociologiques d’environnement, tels que la cohésion du groupe, la personnalité du chef sont largement pris en compte, de même que les conflits intra — psychiques: idéaux de guerre ou pacifiques, se battre ou s’enfuir, solidarité du groupe ou sécurité individuelle. Le rôle prédisposant de la personnalité, de la névrose antérieure éventuelle semble intervenir conjointement à la frayeur et l’épuisement ( Cohen et Delano, 1945 ; Grinker et Spiegel, 1945). Ainsi, le traumatisme et la fragilité de la personnalité intérieure interviennent de façon variable selon le schéma que propose Fénichel ( 1945) : une personnalité saine et reposée présente une résistance importante à l’agression, contrairement à une personnalité saine mais épuisée où l’agression peut déterminer une névrose traumatique relativement « pure ». Une personnalité névrotique risque de se décompenser lors d’une agression assez minime, étant incapable d’utiliser une énergie déjà mobilisée par la sauvegarde de refoulements plus anciens ; le tableau serait alors celui d’une névrose traumatique compliquée.
Après 1945, l’armée met en place un traitement rapide, à proximité du front, pour une prévention du syndrome, avant que le travail de rumination de la période de latence ne s’effectue. Cette « psychiatrie de l’avant », préconisant une hospitalisation d’environ six jours, aurait permis de faire régresser les évolutions névrotiques.
CLINIQUE
Vers une évolution du syndrome de stress post-traumatique
A ) Acuité et réceptivité cliniques aux réactions précoces après un
événement traumatique
1°) Les différentes formes permettant de détecter une détresse aiguë à la suite d’un événement traumatique :
Les modalités de réaction précoce se déclinent en nosographie psychotraumatique spécifique : Dissociation péritraumatique, détresse péritraumatique, effroi, état de stress aigu et nosographie « commune « : anxiété, réactions dépressives, états psychotiques….
Dissociation péritraumatique :
Elle est définie par une rupture immédiate ou post-immédiate de l’unité psychique au moment du traumatisme.
Les altérations de la perception du temps, du lieu et de soi entraînent un profond sentiment d’irréalité.
Certains de ces symptômes ont été décrits depuis longtemps : stupeur avec blocage des fonctions motrices. états confuso-oniriques, réactions de combat….
Depuis de nombreuses années, et selon une méthodologie prospective, on a pu observer que les sujets rapportant des réactions de dissociation péritraumatique présentaient une plus grande vulnérabilité pour le développement d’un état de stress post-traumatique. Ces réactions seraient assez fréquentes : de 25 à 79% selon une étude récente de certains experts en psychiatrie.
- Détresse péritraumatique :
Au-delà de la détresse vitale que représente l’événement traumatique, le critère A2 du DSM¬IV spécifie que la réaction à cette menace initiale doit être caractérisée par un sentiment de peur intense, d’impuissance ou d’horreur.
Mr Brunet et d’autres psychiatres ont développé un auto-questionnaire de 13 items, l’Inventaire de détresse péritraumatique ( PDI), qui mesure le niveau de détresse ressenti pendant un événement traumatique.
Deux facteurs ont été isolés lors d’analyses factorielles exploratoires dans un échantillon de 702 policiers :
- Emotions négatives : j’étais frustré ou en colère, j’avais honte de mes réactions émotionnelles, etc..
- Et sentiments de menace vitale : je pensais que j’allais mourir, j’avais peur pour ma sécurité. etc…
Ainsi qu’on pouvait s’y attendre, les scores du PDI étaient étroitement corrélés aux mesures d’ESPT, mais aussi à la dissociation péritraumatique.
De cette façon, on a pu, empiriquement, constater que la dissociation péritraumatique ne protégeait pas vraisemblablement de la détresse péritraumatique.
Effroi :
D’autres travaux insistent sur l’importance du concept freudien d’effroi, inclus dans le modèle économique de l’effraction du traumatisme rompant la barrière de protection de l’appareil psychique.
Pour les psychanalystes, lors du trauma, une image de « réel de la mort » ferait effraction dans le psychisme. Elle s’y incrusterait comme « un corps étranger « impossible à lier, lequel entraînerait un syndrome de répétition et, possiblement, certains troubles mnésiques. Une exploration attentive menée sur un échantillon de victimes d’accidents de la route montrait que la majorité des sujets ayant eu une réaction d’effroi avaient un ESPT deux mois plus tard.
Les données portant sur les réactions d’effroi et sur la détresse péritraumatique semblent à priori contradictoires et soulèvent un débat intéressant, pour la psychiatrie, car l’effroi postule l’expérience chez le sujet d’une sidération péritraumatique, mais dénuée d’affect, particulièrement d’angoisse.
Un examen empirique approfondi de la relation entre les concepts d’effroi, de détresse, et de dissociation péritraumatique s’impose, afin d’éclairer la ou les trajectoires susceptibles de
déboucher sur un ESPT.
- Etat de stress aigu :
Les états de stress aigus ( ESA ), ou réactions à un facteur de stress, sont reconnus par les classifications internationales ( DSM-IV, ICD-10 ).
Dans les heures ou les jours suivant le traumatisme, des symptômes dissociatifs ( stupeur, engourdissement, dépersonnalisation, déréalisation ) sont associés à la trilogie classique du stress traumatique ( répétition, évitement / émoussement, activation neurovégétative ).
Une durée inférieure à quatre semaines est en faveur d’un état de stress aigu ; lorsque celle-ci dépasse quatre semaines, il faut envisager un ESPT.
Selon différents échantillons, la fréquence des états de stress aigu serait de 14 à 33% chez les personnes exposées.
Plusieurs travaux prospectifs indiquent qu’un état de stress aigu constitue un indice de vulnérabilité pour un ESPT ultérieur.
Cependant, d’autres cliniciens y voient une simple forme précoce d’ESPT plutôt qu’une entité distincte et prédictive.
- Nosographie psychiatrique commune :
Les crises hyperexpressives et hystériformes peuvent être également observées.
Elles se produisent en général à la phase post-immédiate de l’événement traumatique , une fois que le sujet est à l’abri.
Des troubles de l’équilibre, des troubles sensoriels, des états crépusculaires ont été observés Quant aux états psychotiques, de véritables accès maniaques avec excitation psychomotrice, euphorie, logorrhée et accélération de la pensée se manifestent.
La question d’antécédents de troubles affectifs doit alors se poser.
Les états délirants seraient plus rares. Le sujet s’expose au danger, parle haut et fort avec un discours décousu, déambule, entrave les secours.
Les classifications internationales reconnaissent la psychose réactionnelle brève avec facteurs de stress marqués.
Des réactions dépressives peuvent apparaître d’emblée, mais surviennent plus classiquement dans les jours qui suivent le traumatisme.
Certaines spécificités du traumatisme sont associées aux réactions dépressives après disparitions, pertes, dissolution de communauté, etc….
2°) Visées de l’évaluation des réactions précoces :
La reconnaissance et l’évaluation des réponses précoces représentent des enjeux majeurs. D’une part, sur le plan clinique, il faut savoir reconnaître, écouter et apaiser une souffrance aiguë. Par ailleurs, la reconnaissance des effets traumatiques initiaux, sur leurs versants cognitifs et émotionnels, devrait permettre de suivre les victimes les plus vulnérables pour un éventuel ESPT. Et dans un troisième temps, l’évaluation précoce et documentée des troubles aigus comporte un intérêt médico-légal : lorsqu’il s’agira d’établir à un traumatisme et à sa réponse aiguë l’imputabilité d’un trouble différé ou durable qui demande réparation.
3°) Ecueils, contingences et diagnostics différentiels :
Il est important de noter que l’absence de réponse aiguë ne prédit pas forcément une bonne évolution. Certains psychiatres estiment qu’il serait inutile de rechercher à n’importe quel prix une abréaction précoce ( Temps du refoulement ? Si tant est qu’on puisse réellement parler de refoulement …).
En ce qui concerne les résultats sur les recherches actuelles concernant l’efficacité du « débriefing », bons nombres de praticiens s’accordent pour observer une grande prudence à l’égard des interventions de « détraumatisation ».
L’intervention précoce consisterait dans la plupart des cas en la restauration dans l’immédiat d’un sentiment de sécurité par le biais d’une prise en charge temporaire du sujet assortie d’une écoute bienveillante.
Un sentiment de culpabilité devrait être également évalué afin de prévenir un éventuel passage à l’acte auto-agressif.
On peut, au passage, souligner qu’exceptés les traitements pharmacologiques symptomatiques de l’anxiété et ses symptômes comportementaux, aucun traitement biologique spécifique n’est reconnu pour les ESA. La question peut se poser en ces termes : faut-il traiter un ESA ou attendre qu’il se structure en ESPT ?
En l’absence de données probantes sur ce sujet, et compte-tenu que bien des ESA ne deviendront jamais des ESPT, un grand nombre de cliniciens s’abstiennent de prescrire quoi que ce soit.
Il va de soi que dans bien des cas, les symptômes tels que l’amnésie, la confusion, la sidération, l’agitation, les états crépusculaires et bien d’autres, ne font la preuve de leur origine psychique qu’après une élimination scrupuleuse d’une éventuelle cause traumato-organique.
4°) Conduite à observer au moment de l’évaluation précoce :
On conseille aux cliniciens de s’en tenir préférentiellement aux critères reconnus par les classifications internationales : ESA, psychose réactionnelle brève, épisode dépressif, ESPT, etc.
Cependant, certains critères , même s’ils ne sont pas inclus dans le DSM ou la Classification de l’OMS. attestent d’indices de vulnérabilité.
A l’heure actuelle, les chercheurs se penchent sur l’incidence des variables péritraumatiques ( effroi, détresse, dissociation ) susceptibles de déboucher sur un ESPT ; ceci dans des échantillons aussi bien d’adultes que d’enfants traumatisés issus de divers groupes ethniques et exposés à des évènements traumatiques variés.
B) Modalités évolutives des troubles psychotraumatiques
1°) Formes cliniques à long terme des troubles psychotraumatiques :
De multiples désordres psychiques peuvent succéder aux évènements traumatiques. Les plus fréquents sont probablement les états dépressifs et les abus de substance ( alcool, psychotropes, drogues ).
Les pathologies anxieuses, notamment le syndrome de stress post-traumatique, mais aussi les attaques de panique, les phobies ou l’anxiété généralisée sont aussi les conséquences fréquentes de la confrontation aux stresseurs majeurs.
Des manifestations psychosomatiques, des douleurs chroniques, des conduites suicidaires, des prises excessives de risque ou des troubles de la personnalité sont fréquemment rencontrées dans les suites de psychotraumatismes.
Chez la majorité des patients psychotraumatisés, on retrouve plusieurs troubles associés, et
cette comorbidité aboutit d’une part à méconnaître certains diagnostics, notamment celui de stress post-traumatique, et d’autre part à rendre plus complexe la prise en charge.
Les syndromes psychotraumatiques durables peuvent débuter après l’événement traumatique ou bien après une période de latence, classiquement asymptomatique, de durée variable ( de quelques jours à plusieurs années), l’apparition des symptômes survenant souvent à l’occasion d’un autre événement stressant.
On considère qu’en moyenne un quart des sujets exposés à un événement traumatique vont développer un stress post-traumatique ( cette proportion variant selon le type d’événement), et que pour plus des deux tiers d’entre eux les symptômes vont s’estomper en un ou deux ans.
Le stress post-traumatique se caractérise par le syndrome de répétition : il peut s’agir à l’état de veille de reviviscences quasi-hallucinatoires, de souvenirs imposés, de ruminations mentales, d’impressions que l’événement va se reproduire, accompagnées d’une détresse intense, survenant spontanément ou lors de la confrontation à des stimuli évoquant le traumatisme, ou, pendant le sommeil, de cauchemars reproduisant de façon très réaliste l’expérience traumatique.
Certaines impulsions, décharges émotives ou gestes violents peuvent être la répétition d’agressions subies sans possibilité de réponse. Ils improvisent symboliquement des conduites de défense qui avaient fait défaut lors de la scène traumatique. Parfois n’existent que des ruminations mentales. Une forme encore plus élémentaire de ce syndrome de répétition peut être une simple réaction de sursaut.
Il peut exister en même temps une amnésie dissociative empêchant de se remémorer une partie, voire la totalité de l’événement traumatique.
La confrontation à des stimuli associés au traumatisme peut aussi déclencher de façon répétitive une angoisse aiguë.
Parallèlement au syndrome de répétition, on peut observer, de façon et avec une intensité variables :
un évitement phobique des situations rappelant l’événement traumatique, pouvant aller
jusqu’à des comportements de fuite ;
une perte d’intérêt pour les activités auparavant motivantes et investies ;
- une incapacité à communiquer entraînant un désinvestissement des relations interpersonnelles ;
- un émoussement du ressenti et de l’expression des émotions ;
une perte de l’anticipation positive de l’avenir ;
- des troubles de la mémoire et de la concentration perturbant la vie quotidienne un état d’alerte permanent avec perte de sentiments de sécurité, se traduisant notamment par une réaction de sursaut exagéré ;
une insomnie d’endormissement ou des réveils nocturnes.
La concomitance des différents symptômes est variable au cours de l’évolution des troubles. A l’heure actuelle, les conversions hystériques sont moins fréquentes.
Dans certains cas, on peut voir apparaître, en même temps que peut s’estomper le syndrome psychotraumatique, une véritable réorganisation morbide de la personnalité, définie par la CIM-I 0 comme l’association d’une attitude hostile et méfiante, un retrait social, des sentiments dépressifs de vide ou de perte d’espoir, une dépendance accrue à autrui, une sensation permanente d’être sous tension ou de se sentir menacé, et une impression de ne plus être soi-même.
La relation comporte un mélange infantile vis à vis de l’entourage, et des exigences incessantes de réhabilitation à travers lesquelles le sujet espère restaurer l’estime d’autrui. Cette régression se traduit par une inhibition générale avec réduction des activités, baisse ou abandon de la sexualité.
2°) Observations relatives au processus spontané :
Les troubles psychotraumatiques précoces ( post-immédiats ) sont fréquents et, le plus souvent, s’améliorent naturellement entre quelques semaines et quelques mois. C’est notamment le cas de l’état de stress aigu, défini par le DSM-IV, qui associe des symptômes psychotraumatiques classiques à la persistance de symptômes dissociatifs péritraumatiques pendant une durée maximum de quatre semaines.
Les troubles de l’adaptation, survenant à la suite d’un stresseur majeur, associent pendant six
mois au plus des symptômes anxieux, dépressifs ou des troubles des conduites.
3°) Repérages de l’éventuel développement de ces désordres psychotraumatiques ?
Certains évènements traumatiques sont particulièrement à risque : viol, agression sexuelle, agression physique, blessure par arme à feu, ou arme blanche, accident grave avec blessure physique, mort soudaine et inattendue d’un proche.
Au moment de la confrontation à l’événement, l’intensité élevée de la réaction de stress, les réactions de dissociation péritraumatique, l’élévation prolongée de la fréquence cardiaque ou l’apparition rapide d’un syndrome de répétition sont prédictifs d’un syndrome psychotraumatique durable.
Les femmes, l’existence d’un syndrome dépressif ou d’un alcoolisme au moment du traumatisme, des antécédents psychiatriques, des troubles de la personnalité ou l’existence de traumatismes antérieurs ( notamment dans l’enfance ) sont aussi considérés comme des facteurs de risque.
Non traitée, la névrose traumatique est une affection chronique dont l’enkystement peut se traduire par des traits de caractère où dominent la dépendance, la quête affective et la revendication, émaillés de raptus agressifs, forme résiduelle de la répétition.
Cependant, de nombreux symptômes appartenant aux critères de la personnalité « border – line » dans le DSM III-R figurent également dans la description de la personnalité « traumatique «; il en est ainsi des sentiments de rage, de la labilité affective, des actes portant préjudices à soi-même…
Cette comorbidité pose l’une des questions fondamentales de l’état de stress post-traumatique ; ce syndrome survient-il plus fréquemment s’il existe antérieurement un trouble de la personnalité, ou le traumatisme suffit-il à lui seul à désorganiser une personnalité non pathologique ?
4°) A propos d’ une évaluation à distance du traumatisme :
L’évaluation d’un patient permet de rechercher les facteurs de maintien du syndrome psychotraumatique : l’intensité des comportements d’évitement, l’existence de troubles comorbides ( deuil, dépression ou abus de substances ), les éventuels bénéfices secondaires retirés du trouble, l’existence de séquelles de blessures physiques lors de l’événement, les conséquences sur le fonctionnement conjugal ou familial des changements caractériels, le niveau de prise en charge sociale des troubles, l’existence d’une procédure juridique en cours liée à l’événement traumatique.
C’est, entre autre, grâce à la prise en compte de ces paramètres psychosociaux que le thérapeute pourra aborder plus efficacement les conséquences de la victimation, terme très répandu à l’heure actuelle, mais qui a mon sens enferme le sujet dans un concept réducteur.
APPROCHE DES MECANISMES MIS EN JEU
L’entité nosographique que représente l’état de stress post-traumatique ne peut que poser la question théorique du rôle des évènements ou des évènements dans l’organisation des structures mentales. Qu’en est-il de la dimension endogène-exogène dans le fonctionnement psychique ?
La notion de réaction n’est pas un simple comportement physiologique et psychologique uniforme mais implique des résonances et des conséquences variables selon la personnalité antérieure. A cet interface entre le traumatisme et la personnalité se trouve la réaction de l’individu.
Le terme de traumatisme emprunté à la pathologie chirurgicale désigne un événement brutal et violent faisant irruption dans la vie psychique qu’il bouleverse. Cet événement traumatisant peut être une agression, une tentative de meurtre, un viol, une catastrophe naturelle, accidentelle ou provoquée par un contexte de guerre.
Ces traumatismes, imputés à l’origine des états de stress post-traumatiques, confrontent, avec soudaineté et intensité du sujet à l’imminence de sa destruction. C’est l’expérience vécue de cet événement qui est le point central de processus psychopathologique. La perte de connaissance, soustrayant le sujet à la situation intolérable, le protègerait contre le développement ultérieur d’une névrose.
Il convient de ne pas diluer le concept de traumatisme et de lui conserver ses caractères d’exception, le risque étant d’inclure toute pathologie réactionnelle dans les états de stress post-traumatiques.
En temps de guerre, certains paramètres jouent un rôle favorisant, comme le manque de cohésion dans le groupe, le sentiment d’isolement, la perte de confiance dans les chefs, la fatigue physique, le manque de sommeil et de nourriture.
Certains facteurs psychologiques aggravent et renforcent l’action du traumatisme ; il s’agit des conflits liés à la situation : préserver sa sécurité individuelle ou défendre le groupe, fuir ou se battre. Le poids de la culpabilité semble être majeur dans le « syndrome du survivant « , où chez le rescapé, la culpabilité liée à la mort d’un camarade joue, de toute évidence, un rôle plus important que la violence de l’évènement en elle-même.
Le rôle de la personnalité antérieure reste encore très discutée. La vulnérabilité constitutionnelle ou la prédisposition serait, selon certains, déterminante dans l’éclosion des troubles. Certains cliniciens nient l’existence de ce concept : l’état de stress post-traumatique ne serait que l’expression plus bruyante d’une pathologie préexistante, révélée à l’occasion d’un traumatisme. Consciente qu’on ne peut tout dire concernant cette pathologie et toutes les problématiques qu’elle soulève, je tiens cependant à évoquer la théorie de « l’évaporation du stress » considérant les symptômes comme une simple exacerbation de comportements présents avant le traumatisme ; ce dernier joue un rôle de « déclencheur » d’un processus qui devait survenir. A l’opposé, la théorie du « stress résiduel « considère le traumatisme comme un « organisateur « c’est-à-dire responsable de symptômes pouvant persister des années et survenant sur une personnalité antérieurement saine.
A propos de la notion de stress, on peut mettre sur le devant de la scène l’idée de chocs et réactions d’alarme. Un équilibre de l’ensemble de la personnalité est soudain rompu, des perturbations neuro-végétatives sont à souligner en lien avec les défenses que développe l’organisme face aux émotions soudaines, entraînées par l’agression. Le stress se résumerait plus à une tension intense du corps essayant de constituer des défenses face à une menace. Selon moi, les études cliniques visant à expliquer au mieux le déterminisme de la pathologie post-traumatique, se rapportent aux travaux psychanalytiques, tentant de fournir une pathogénie de la « névrose traumatique ».
La réaction initiale, face au traumatisme est une réaction de frayeur secondaire à la surprise et à l’impréparation face au danger. Ultérieurement, le traumatisme demeure au sein de l’organisme comme un objet étranger. Le patient y est fixé et fait de vains efforts pour s’en débarrasser. Les symptômes de répétition constituent la marque de ces efforts réitérés mais inefficaces pour « abréagir « le traumatisme ; les cauchemars de répétition relèveraient de la « compulsion de répétition «, si l’on s’en réfère à l’approche freudienne.
En 1916, Freud considère le traumatisme comme une notion avant tout économique ; les manifestations de régression narcissique découlent d’un réinvestissement libidinal apporté à soi face à la révélation de sa propre impuissance et à la perte du mythe de l’invulnérabilité. L’événement bouleverse complètement la vie du sujet qu’il éclaire à la lumière de l’expérience traumatique : tout souvenir ou expérience nouvelle prend un autre sens lié à la catastrophe vécue par la victime.